« Ô Jésus, vivant en Marie,
venez et vivez en vos serviteurs,

dans votre esprit de sainteté,

dans la plénitude de votre force,

dans la perfection de vos voies,

dans la vérité de vos vertus,

dans la communion de vos divins mystères :

Dominez sur toute puissance ennemie,

dans votre Esprit,

à la gloire du Père.

AMEN. »

 

Jean-Jacques Olier

 

Vierge enceinte Cordoue priere olier 2

 

Cette prière a été prononcée par des générations de sulpiciens et de séminaristes. Elle l'est encore. On peut la considérer comme le texte d'Olier le plus répandu, le plus connu. Paradoxalement, elle n'est pourtant pas très originale. En effet, il s'agit d'une prière qu'il avait empruntée à Charles de Condren, son directeur. Il y a cependant mis une empreinte personnelle décisive puisque Condren ne parlait pas de la Vierge Marie. Il existe plusieurs versions de cette prière. Nous avons choisi la plus communément utilisée.

Olier appelle le venue de Jésus dans ses serviteurs, ceux qui ont accepté qu'il soit leur maître, c'est-à-dire ceux qui veulent lui appartenir entièrement, lui être consacrés dans toute leur existence et jusqu'au plus profond d'eux-mêmes. Mais nous savons déjà que Jésus entretient avec ses serviteurs une tout autre relation que les maîtres humains. Ne les appelle-t-il pas ses amis ? Et ne vient-il pas habiter chez eux ? Nous pouvons donc, nous qui voulons être les serviteurs de Jésus exprimer ce désir : que Jésus vienne habiter en nous pour qu'il nous donne participation à son Esprit, pour que nous soyons revêtus de ses sentiments.

Il vient vivre en nous ; ainsi se réalise la parole de Paul : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi." Il veut vivre en nous dans son esprit de sainteté, c'est-à-dire il veut nous sanctifier par son Esprit. Il veut nous communiquer la plénitude de sa force, c'est-à-dire que nous soyons habités par la puissance de sa résurrection. Il veut nous faire avancer sur ses chemins les plus parfaits, nous enraciner au plus vrai et au plus profond du dynamisme de sa vie, laisser ses mystères, c'est-à-dire toutes les formes concrètes dans lesquelles s'accomplit sa vie jusqu'à sa mort, se déployer dans notre propre vie et notre propre mort.

On comprend qu'Olier évoque la Vierge Marie et la vie de Jésus en elle ; n'est-elle pas la première à avoir accueilli le Verbe, par la foi d'abord, dans sa chair ensuite mais à cause de sa foi ? N'est-elle pas la première à s'être abandonnée à l'Esprit, la première à avoir communié aux mystères de Jésus, la première à partager aussi intimement son élan vers le Père ?

Dès son enfance, Olier a manifesté une dévotion très tendre et relation respectueusement familière envers la Vierge Marie. Il raconte lui-même dans ses Mémoires comment, se sentant peu aimé de sa propre mère, il recourait volontiers à Marie. Il garda toute sa vie cette proximité avec celle qui lui donnait accès à son Fils et qu'il invoquait très souvent, au milieu de tous les aléas de sa vie quotidienne.

Rapidement après sa conversion définitive, à Lorette, en Italie, qu'il attribue à son intercession, il fait « vœu de servitude » à Marie. Il s'agissait d'une pratique de l'époque, d'origine espagnole, où l'on s'engageait à appartenir à Marie pour mieux appartenir au Christ.

Aujourd'hui, le terme nous rebute un peu, car le mot servitude évoque l'esclavage ; mais au XVIIème siècle, il s'agissait bien sûr de l'esclavage au sens paulinien du terme, celui qui ouvre à la liberté dans le Christ. En fait, le vœu de servitude était une sorte de consécration privée à Marie, normalement suivie d'une consécration à Jésus lui-même, ce qui fut en effet le cas pour Olier.

Remplie de l'Esprit Saint, accueillant l'Esprit d'une manière inouïe, tant était grande sa capacité de grâce, la Vierge Marie est à la fois l'image et la première réalisation, les prémices de l' Église. L'Esprit trouve en elle, disait Olier, un fond d'obéissance immense, et il s'émerveillait de voir réuni en Marie tout ce que l'Esprit de Dieu répandra un jour sur toute l'Église.

Dans le tableau commandé au peintre Charles La Brun pour la chapelle du Séminaire Saint-Sulpice sur le thème de la Pentecôte, l'artiste a représenté Marie au-dessus des disciples, recevant le feu de l'Esprit qui repose sur elle et qui se divise ensuite en langues de feu sur les apôtres. Il est évident que Marie est ici l'image de l'Église.

Parlant à un de ses dirigés, pendant le temps de l'Avent, de l'importance du mystère de l'Incarnation pour la vie chrétienne, il lui suggère de s'y préparer avec la fête de l'Immaculée Conception, qui nous invite, lui dit-il, à adorer celle du Fils (c'est-à-dire la conception, l'incarnation du Fils)... pour nous apprendre que ce divin sauveur voudrait être conçu dans le cœur de toute l'Église, et voudrait y établir sa demeure, sa vie et son règne, comme il l'a établi en la nature particulière qu'il a choisie en Marie, lorsqu'il s'est uni en elle à notre humanité.

Une autre fête revêtait à ses yeux une importance capitale, celle de la Présentation de Marie au Temple, le 21 novembre, qu'il a érigée en fête patronale du Séminaire et qui était le symbole de l'offrande de Marie et de sa totale disponibilité.

Olier souligne aussi l'union étroite qui existait entre Jésus et Marie, non seulement en raison de la relation filiale et maternelle, mais d'abord parce que Jésus communique à sa mère qui l'a accueilli dans la foi, la vie qu'il possède lui-même en plénitude : Il la communie à son Esprit, à ses dons ; à ses trésors immenses, et à sa vie, en un mot, il se donne tout à elle.

Il s'opère donc entre le fils et la mère un admirable échange, comme dit la liturgie de Noël. Marie a donné au Christ son humanité, il lui donne à son tour sa vie divine. Pendant qu'elle le portait en elle, Marie était le monde de Jésus : Marie lui était toutes choses. Elle était sa nourriture, sa vie, sa demeure et son Temple. En échange, Jésus sanctifiait sa mère. Et cet échange intérieur s'est poursuivi tout au long de la vie de Jésus, à travers tous ses mystères auxquels elle a intimement communié.

C'est durant toute son existence que Marie a vécu cette communion avec son fils, et cela jusqu'à la croix. Olier lui-même, au cours de son ministère comme curé de Saint-Sulpice a rencontré bien des difficultés. Dans une de ses lettres à Marie Rousseau, cette femme qui l'a beaucoup aidé et qui est à l'origine de sa conversion, il évoque la foi inébranlable de Marie durant la passion et la mort de Jésus pour s'exhorter lui-même et exhorter en même temps sa correspondante à tenir ferme au milieu des épreuves et des tentations :

Pendant tout ce temps là (le temps de la Passion) tous les disciples, hormis saint Jean, quittèrent le Fils de Dieu : mais la sainte Vierge demeura inébranlable dans la foi de son Fils, et dans l'estime de sa grandeur. Tenez-vous avec elle recueillie en silence et en paix au pied de la croix de Jésus. Tenez-vous intimement unie à la force de cette divine Mère, laquelle l'Écriture sainte nous marque avoir été debout sur le Calvaire, pour exprimer la force de son cœur, et sa constance dans la tribulation de la Croix, qui était inexprimable.

Ainsi Marie est-elle le modèle des chrétiens qui accueillent le Christ dans la foi pour qu'il puisse vivre en eux ses mystères.

 

Bernard Pitaud, PSS