Février 2024



L’ingénieux chevalier Don Quichotte de la Manche, par Miguel de Cervantès Saavedra.

Traduction nouvelle. Illustrations par Grandville. Tours, Alfred Mame et Fils, Éditeurs, 1864

 

Don Quichotte est paru pour la première fois en Espagne en deux parties, respectivement sous les titres de El ingenioso hidalgo Don Quixote de la Mancha (1605) et de Segunda parte del ingenioso caballero Don Quixote de la Mancha (1615). Écrit par Miguel de Cervantès Saavedra (Fig. 1), ce chef-d’œuvre de la littérature espagnole, est une œuvre de maturité. En effet, l’auteur a 57 ans lors de sa parution et 67 ans pour celle du deuxième volet. Le succès de Don Quichotte est immédiat et dépasse même les frontières espagnoles pour conquérir l’Europe : Italie, Allemagne, Pays-Bas et surtout en Angleterre.

 

Fig. 1 : Miguel de Cervantès Saavedra (1547-1616)



Dans Illusions perdues de la Comédie humaine, Honoré de Balzac lui rend même hommage en ses termes : « Enfin le grand Cervantès, qui avait perdu le bras à la bataille de Lépante en contribuant au gain de cette fameuse journée, appelé vieux et ignoble manchot par les écrivailleurs de son temps, mit, faute de libraire, dix ans d’intervalle entre la première et la seconde partie de son sublime Don Quichotte. »

L’édition française présentée ici date de 1864 et réunit en un seul volume de 552 pages, les deux parties de Don Quichotte. Chaque partie est divisée en chapitres numérotés et titrés. La première partie compte trente-deux chapitres, contre vingt-neuf pour la seconde. Le point fort de cette édition, est le fait qu’elle soit richement illustrée et ce par un grand illustrateur français : Grandville (Fig. 2).

 

Fig. 2 : Grandville (1803-1847)

Grandville ou Jean-Jacques Grandville, de son vrai nom Jean Ignace Isidore Gérard a d’abord été un excellent caricaturiste. Passé maître dans l’imagerie animale, il use de personnages anthropomorphes pour croquer ses contemporains dans leurs travers et leurs mœurs. Suite à la censure de ses caricatures politiques, Grandville se consacre quasi exclusivement à l’illustration. Il utilisera son talent pour de nombreux chefs-d'œuvre de la littérature tels que les Fables de la Fontaine, Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, les œuvres de Balzac, Robinson Crusoé de Daniel Defoe et bien sûr Don Quichotte de Cervantès.


Notre ouvrage est donc parsemé de petites illustrations insérées dans le texte ainsi que de huit Illustrations en pleine page beaucoup plus fines et détaillées. Ces dernières, équitablement réparties entre chaque partie, sont ornées d’un cadre décoratif qui diffère pour chacune et sont également légendées d’un court extrait du livre. On trouve également trois lettrines décorées placées à l’ « Avis du traducteur » et à chaque début de partie (Fig. 3 à 5).

Fig. 3 : Lettrine « C »   Fig. 4 : Lettrine « D

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Don Quichotte lettrine 2e partieFig. 5 : Lettrine « L »

 

L’histoire de Don Quichotte


Don Quichotte raconte les aventures fantasques d’un certain Alonso Quijano, un hidalgo (gentilhomme) d’une cinquantaine d’années, qui à force de lire des romans de chevaleries médiévales, va en perdre l’esprit. Se prenant pour un chevalier errant, il va parcourir les routes de Castille pour trouver des quêtes à accomplir et pour parfaire son alter ego, se rebaptise Don Quichotte de la Manche. Dans son délire, la moindre auberge devient un château, les paysannes se transforment en princesses et des moulins à vent se changent en géants. Comme tout bon chevalier, il se doit d’avoir une dame en son cœur et ses pensées à qui dédier ses victoires. Il va donc choisir, sans même l’avoir jamais vue, une paysanne du nom d’Aldonsa Lorenzo, renommée par ses soins Dulcinée du Toboso.


Pour l’accompagner dans ses aventures, il choisit pour écuyer un laboureur du nom de Sancho Panza. Pour le convaincre de le suivre, Don Quichotte promet de le nommer gouverneur d’une île. Homme honnête mais pauvre, cette récompense lui fait miroiter une vie de richesses à laquelle il est difficile de résister.
Les deux comparses sont l’exact opposé l’un de l’autre, ce qui renforce le comique du duo. Don Quichotte est décrit par l’auteur dans son Prologue au lecteur (dans l’édition originale) comme un « homme sec, rabougri, fantasque, plein d'étranges pensées que nul autre n'avait eues avant lui ». Sa monture nommée Rossinante, est un cheval aussi efflanqué que lui.
A contrario, Sancho Panza est juché sur son âne adoré. C’est un homme bien en chair, mais qui a lui, les pieds sur terre. Bien qu’analphabète, il est rempli d’une sagesse populaire faite d’une liste interminable de proverbes, qu’il n’hésite pas à déclamer, au point d’en agacer et d'en contaminer son maître. 

Nos deux héros vont traverser moult péripéties en trois sorties formant une boucle les ramenant à chaque fois à leur point de départ, qui est n’est autre que le village de Don Quichotte. Huit d’entre elles ont été illustrées en pleine page dans notre ouvrage.


Illustrations de la première partie


La première grande illustration, faisant également office de frontispice, représente « l’adoubement » de Don Quichotte (fig. 6). En effet, Lorsqu’il se lance dans ces aventures, il est ravi de sa première sortie mais « une seule chose le chagrinait, c’était de n’être pas encore armé chevalier, parce qu’en cet état il ne pouvait légitimement entreprendre aucune aventure » (p. 14). Qu’à cela ne tienne, arrivé dans une auberge – qu’il transforme dans son esprit en château – il persuade l’aubergiste – le châtelain – de le faire chevalier. Ainsi, dans une cérémonie grotesque, Don Quichotte est enfin adouber.

« […] l’hôte […] vint aussitôt retrouver don Quichotte et le fit mettre à genoux. Puis lisant, dans son livre, comme s’il eût recité quelque oraison, il haussa la main au milieu de sa lecture, et lui en donna sur la nuque un grand coup qui lui fit baisser la tête, et du plat de l’épée un autre de même mesure sur l’épaule, marmottant toujours quelque chose entre ses dents. » (Chap. III, p. 19-20)

 

Don Quichotte 1Fig. 6 : L’adoubement de Don Quichotte

 

Après son adoubement, Don Quichotte part pour sa première grande aventure qui est également la plus célèbre du roman. Chevauchant à travers la campagne de Montiel, notre héros, veut combattre les géants qu’il aperçoit au loin. Mais ce que ses yeux interprètent comme des géants terrifiants ne sont autres que des moulins à vent (fig. 7).

« […] ami Sancho, vois-tu cette troupe de démesurés géants ? Je prétends les combattre et leur ôter la vie. […] – Quels géants ? dit Sancho Pança. – Ceux que tu vois là dit don Quichotte, avec ces grands brasn dont quelques-uns ont près de deux lieues de long. – Prenez- y garde, répondit Sancho, ce que vous voyez là ce ne sont pas des géants, mais des moulins à vent ; et ce qui vous paraît des bras, ce sont les ailes que le vent fait tourner pour mettre la meule en mouvement. – Il paraît bien, di don Quichotte, que tu n’es guère expert en fait d’aventures. Ce sont des géants ; et si tu as peur, retire-toi d’ici, et te mets quelque part en oraison ; pour moi je vais les attaquer, si acharné et inégal que puisse être le combat. » (Chap. VI, p. 38)

 

Don Quichotte 2Fig. 7 : Don Quichotte contre les moulins à vent

Un autre épisode des plus loufoques est ensuite illustré. Cette fois, Don Quichotte travestit dans son esprit des troupeaux de brebis en deux armées adverses se combattant férocement. Le bêlement des animaux étant le bruit des hennissements, des tambours, timbales et trompettes aux oreilles du chevalier. Prenant parti pour l’une des deux armées, Don Quichotte s’élance dans la bataille en pourfendant les pauvres bêtes de l’un des troupeaux (fig. 8). Les bergers assistant à la scène défendent leurs bêtes à coup de pierres qui finissent par le désarçonner.

« En même temps il s’élance furieux au milieu de l’escadron de brebis, qu’il perce de tous côtés, et avec autant de courage et de vigueur que s’il eut eu affaire à ses plus cruels ennemis. Ceux qui conduisaient le troupeau […] voyant qu’ils ne gagnaient rien à crier, ils prirent leurs frondes et commencèrent à saluer notre héros à coups de pierres […] » (Chap. XI, p. 83)

 

Don Quichotte 3Fig. 8 : Don Quichotte attaque des brebis

 

Lors d'une escale dans une auberge, Don Quichotte est victime d’une farce de la part d’une employée nommée Maritorne et de la fille de l’aubergiste. Lui faisant croire que sa maîtresse a des sentiments amoureux à son égard, Maritorne lui demande de passer sa main à travers une fenêtre haute pour que la fille de l’aubergiste puisse la caresser. Accédant à cette requête, pour ne pas être discourtois envers ce qu’il pense être la fille du seigneur du château, il passe la main à travers la fenêtre en appuis sur le dos de son cheval. Maritorne en profite alors pour l’attacher solidement (fig. 9).

« Donnez-lui seulement une de vos belles mains, dit Maritorne, pour calmer un peu l’ardeur qui la consume et qui l’a amenée en ce lieu […] pensant aussitôt à ce qu’elle devait faire, elle alla quérir le licou de l’âne de Sancho, et retourna vite sur ses pas, pendant que le courtois chevalier s’était mis tout debout sur la selle de son cheval, pour atteindre jusqu’à la fenêtre où il voyait la demoiselle passionnée. Il tendit la main de bonne grâce […]. Maritorne […] ayant fait un nœud coulant à l’un des bouts du licou, elle le jeta au poignet de don Quichotte, et attacha fortement l’autre bout au verrou de la porte. […] Maritorne l’eut attaché de telle sorte qu’il ne put se dégager, les deux espiègles se retirèrent en pouffant de rire. » (Chap. XXVI, p. 209-210)


Don Quichotte 4Fig. 9 : Don Quichotte est victime d’une plaisanterie

 

Illustrations de la seconde partie


Dans ce début de deuxième partie c’est Sancho qui joue un mauvais tour à Don Quichotte. Il lui fait croire que sa bien-aimée Dulcinée a été victime d’un enchantement qui l’a transformée en grossière paysanne (fig. 10). Depuis lors, Don Quichotte n’aura de cesse de trouver un moyen de la désensorceler.

« A ces mots, ils sortirent du bois, et aperçurent près de là les trois paysannes. Don Quichotte embrassa du regard toute la route du Toboso ; et ne voyant que trois villageoises, il se troubla et demanda à Sancho s’il avait laissé les princesses hors de la ville. « Comment hors de la ville ? s’écria Sancho ; est-ce que vous avez les yeux derrière la tête pour ne pas voir que ce sont elles-mêmes qui s’avancent, resplendissantes comme le soleil en plein midi ? – Je ne vois rien, Sancho, dit don Quichotte, que trois paysannes montées sur trois bourriques. […] Taisez-vous seigneur, et ne dites pas de ces choses-là ; ouvrez plutôt les yeux, et venez faire vos révérences à votre dame […] En ce moment, don Quichotte avait déjà fléchi le genou auprès de Sancho, et regardait avec des yeux hagards et sortant de la tête celle que Sancho appelait des noms de dame et de reine ; et comme il ne découvrait en elle qu’une fille de campagne, pas même de fort bonne mine, car elle était mafflée et camarde, il resta pensif et stupéfait […] Et toi, dernier terme de la perfection, parangon des grâces de l’humanité […], puisque le malveillant enchanteur qui me poursuit a jeté sur mes yeux des nuages et des cataractes, puisqu’il a […] dénaturé tes charmes incomparables et changé ton visage en celui d’une pauvre paysanne […] » (Chap. VI, p. 319-320)


Don Quichotte 5Fig. 10 : Don Quichotte prend une paysanne pour sa Dulcinée

 

Lorsqu’il croise sur sa route un charretier transportant un couple de lions dans des cages - en vue d’être offert au roi de la part du gouverneur d’Oran - Don Quichotte voit là une opportunité de tester sa bravoure en affrontant ces deux bêtes féroces. Malgré les supplications de Sancho, le chevalier ordonne au charretier d’ouvrir la cage du mâle. Don Quichotte se met en garde, prêt à affronter la bête, mais heureusement cette dernière, après avoir jeté un regard au dehors, ne voulut pas sortir et se rallongea tranquillement dans sa cage (fig. 11). Bien que frustré par cette absence de combat, il se montra satisfait de cette victoire par forfait. Pour signifier sa réussite, il troqua son nom de chevalier de la « Triste-Figure » à celui de « Chevalier des Lions ».

« Quand le gardien vit que don Quichotte s’était mis en garde, il jugea qu’il ne pouvait faire autrement que de lâcher le lion mâle, sous peine d’encourir la disgrâce du bouillant et audacieux chevalier […] La première chose que fit l’animal fut de se retourner dans sa cage, puis de se tirer en étendant ses pattes et en allongeant ses griffes. Ensuite il ouvrit la gueule, fit un long bâillement, et tirant une langue de deux pieds, il s’en débarbouilla les yeux et toute la face. Cela fait, il mit la tête hors de sa cage, et promena de tous les côtés deux yeux rouges comme des charbons ardents, d’un air à faire reculer la témérité en personne. […] tourna le dos à Don Quichotte, et du plus grand sang-froid se recoucha dans sa cage. » (Chap. X, p. 359-360)


Don Quichotte 6Fig. 11 : Don Quichotte et le lion

 

Poursuivant leur chevauchée fantastique, Don Quichotte et Sancho Pansa firent halte dans une auberge. Dans la soirée, un certain maître Pierre, marionnettiste fait jouer son spectacle auquel assiste nos deux héros. Tout se déroule pour le mieux, jusqu’au moment où apparaissent sur scène une cavalerie de Mores poursuivant les héros de l’histoire : Don Gaïferos et Mélisandre. Cédant à sa folie, Don Quichotte voulant les aider, se met à attaquer le théâtre de marionnettes, le réduisant en miettes (fig. 12). Après cet accès de rage, le chevalier retrouve ses esprits et, pour se défendre, impute la responsabilité de ses actes aux enchanteurs qui lui ont fait croire les évènements réels.

« Don Quichotte n’eut pas plutôt vu cette horde de Mores et entendu ce tintamarre, qu’il jugea de son devoir de prêter secours aux deux fugitifs […] il tire son épée, d’un seul élan arrive tout auprès du théâtre, et là, avec une furie sans égale, fait pleuvoir sur la bande moresque une grêle de coups d’épée […]. Enfin, en moins de deux Credo, le théâtre s’écroula avec toutes ces figures hachées comme chair à pâté […] » (Chap. XV, p.403-404)


Don Quichotte 7Fig. 12 : Don Quichotte détruit un théâtre de marionnettes

 

Dans la deuxième partie du roman, publié dix ans après la première, l’auteur inclus dans son récit le fait que l’édition de la première partie de Don Quichotte a été un succès. Ainsi, nos deux héros sont conscients de la publication de leurs aventures et de leur célébrité et c’est pourquoi certains personnages les reconnaissent.
Tel est le cas du Duc et de la Duchesse, chez lesquels nos protagonistes séjournent. Dans le but de se divertir, ces nobles ont l’idée de provoquer des situations dans lesquelles Don Quichotte peut se comporter comme un chevalier. Ils se montrent cruels au point d’organiser des farces dans le seul but de ridiculiser nos deux héros, qui ne se rendent pas compte de la supercherie. Pour couronner cette grande mise en scène, le Duc et la Duchesse décident de nommer le pauvre Sancho, gouverneur de l’île – imaginaire – de Barataria. Don Quichotte, ayant appris la nouvelle, s’emploie vivement à donner de nombreux conseils à Sancho sur la conduite à tenir dans l’exercice de sa charge. Des conseils d’une grande sagesse comme « Applique-toi à discerner la vérité à travers les promesses et les offrandes du riche, comme à travers les plaintes et les importunités du pauvre. », ou plus cocasses tel que : « Ne mange ni ail ni oignon, de peur que tes habitudes rustiques ne se trahissent par cette odeur. » Après avoir reçu ses instructions, Sancho fut conduit à « l‘île de Barataria », qui n'est autre qu'un village appartenant au Duc, où on lui remit les clefs du village en le reconnaissant gouverneur (fig. 13).

« Enfin Sancho sortit, accompagné d’une foule nombreuse. Il était vêtu d’une toge, et par-dessus d’un ample manteau de camelot fauve, avec une toque du même. Il montait un mulet à l’écuyère ; et derrière lui, par ordre du duc, marchait son âne, couvert de harnais et d’ornements en soie tout battants neufs. […] Sancho arriva bientôt avec son cortège à un village d’environ mille habitants, un des meilleurs qui se trouvassent dans les possessions du duc : on lui fit croire que c’était là l’île de Barataria. […] les cloches furent mises en mouvement, et tous les habitants firent de grande démonstrations d’allégresse ; on le conduisit avec pompe à l’église principale pour rendre grâces à Dieu ; puis, à la suite de quelques cérémonies burlesques, on lui remit les clefs du village, et on le reconnut gouverneur à vie de ‘l’île de Barataria. » (Chap. XXI, p. 472)

 

Don Quichotte 8Fig. 13 : Sancho reconnu comme gouverneur de l’île imaginaire de Barataria

La fin des aventures de Don Quichotte


Après avoir pris congé du Duc et de la Duchesse, Don Quichotte et Sancho Panza – ayant rapidement démissionné de sa charge de gouverneur – reprirent la route. Sur celle-ci ils croisèrent le chevalier de la Blanche-Lune, qui lança un défi à Don Quichotte : si ce dernier gagne il aura droit de vie ou de mort sur le vaincu, son cheval et une renommée encore plus grande, en revanche si Don Quichotte perd le combat, il devra rentrer chez lui et pendant une année durant déposer ses armes et renoncer à ses aventures. L’affrontement fut bref, et notre héros fut vaincu. Respectant sa parole, les deux amis rentrèrent dans leur village. Malheureusement, peu de temps après, Don Quichotte tomba malade. Avant sa mort, notre héros retrouva, de façon soudaine, la raison : « Maintenant je me sens le jugement libre, lucide et dégagé des épaisses vapeurs de l’ignorance, qu’avait accumulées sur moi cette funeste et continuelle lecture des détestables livres de chevaleries. ». Il renonça par la même occasion à son titre de Don Quichotte pour redevenir Alonzo Quijano, susnommé par lui-même le Bon. Entouré de l’amour et de l’admiration des siens, Alonso Quijano le Bon, alias, le chevalier errant Don Quichotte de la Manche, rendit son dernier souffle, et son âme à Dieu.

 

Un roman à plusieurs lectures


Considéré comme le premier roman moderne, Don Quichotte est un vrai succès mondial, traduit dans plus de 140 langues. Il en devient ainsi le deuxième livre le plus traduit au monde après la Bible. Poésies, théâtres, films, opéras, l’œuvre de Cervantès a influencé de nombreux domaines culturels.
Roman burlesque de prime abord, il peut également se regarder sous le prisme de la satire sociale ou politique. Parmi ceux qui se sont exprimés sur Don Quichotte, on peut citer le témoignage du futur Pape Benoît XVI, Joseph Ratzinger, dans Les Principes de la théologie catholique de 1982 :
« […] Don Quichotte commence comme une bouffonnerie, une dérision, qui n’est absolument pas œuvre imaginaire ou simple divertissement littéraire. Le plaisant autodafé des livres du pauvre hobereau, que font, au chapitre VI, le curé et le barbier, est un geste très réel : le monde du Moyen Âge est rejeté, la porte qui y donne accès est murée ; il appartient irrévocablement au passé. En la personne de Don Quichotte, une époque nouvelle persifle l'ancienne. Le chevalier est devenu un fou ; réveillée des rêves de jadis, une nouvelle génération se dresse en face de la réalité, sans déguisements ni embellissements. Dans la raillerie plaisante du premier chapitre, il y a quelque chose de l'entrée en scène d'une nouvelle époque, confiante en elle-même, qui a désappris le rêve et découvert la réalité, et qui en est fière. […] Quelle noble folie est-ce donc que celle que Don Quichotte s'est choisie comme vocation : « être chaste en ses pensées, honnête en ses paroles, vrai dans ses actions, patient dans l'adversité, miséricordieux à l'égard de ceux qui sont dans la nécessité, et enfin, combattant de la vérité, même si sa défense devait coûter la vie ». Les traits de folie sont devenus un jeu qui mérite d'être aimé car on perçoit, par-delà, un cœur pur. […] L'assurance orgueilleuse avec laquelle Cervantès avait brûlé les ponts derrière lui et s'était moqué du vieux temps, est devenue maintenant mélancolie sur ce qui était désormais perdu. Ceci n'est pas un retour au monde des romans de chevalerie, mais un éveil à ce qui doit absolument demeurer, et la prise de conscience du danger qui menace l'homme quand, dans l'incendie qui détruit le passé, il perd la totalité de lui-même. »

 

Don Quichotte aujourd’hui


Même sans l'avoir lu, la probabilité d’avoir un jour cité du Don Quichotte sans même en être conscients, est grande. En effet, la pérennité du roman est telle que des noms ou expressions utilisés aujourd’hui sont directement tirés de l’œuvre de Cervantès. Pour clore notre propos, en voici quelques exemples.


Les noms propres devenus des noms communs par antonomase :
- Un Don Quichotte : « Personnage chimérique qui se pose en redresseur de torts, en défenseur des opprimés, etc. »
- Une Dulcinée : « Femme aimée »
- Une Maritorne : « Fille laide, malpropre et acariâtre »


Expressions :
- Se battre contre des moulins à vent : « Se forger des chimères pour les combattre, se battre contre des fantômes »
- Faire son Don Quichotte : « Se ridiculiser dans de vains combats »
- Noces de Gamache : « Festin »

 

Conservé à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque de la Compagnie (Paris)

Dr. Émeline PULICANI, Bibliothécaire-Catalogueuse
Province de France de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice