Octobre 2023
Mitre, soie, cuir, fils métallique, dimensions 41x34x1cm, début du XVIIe siècle.
Parmi les nombreux souvenirs conservés par la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice se trouve un objet bénin en apparence, un mitre assez simple, couverte d’un satin de soie blanche fané seulement relevé par un large galon de dentelle d’argent. Un phylactère l’identifie pourtant comme une relique seconde, un objet ayant personnellement appartenu à un saint, « Mitra Sancti Francesci Salesii ».
François de Sales (1567-1622), fut évêque de Genêve à partir de 1602. Canonisé en 1665, il est resté dans les mémoires comme figure de la reconquête catholique face à la réforme protestante qui avait contraint les évêques de cette « Rome des calvinistes » à résider à Annecy, comme co-fondateur de l’ordre de la Visitation et comme auteur spirituel qui lui vaudra l’élévation au rang de docteur de l’Église en 1877. Son Introduction à la vie dévote, écrite en 1608 et publié l’année suivante connut un très grand succès dans l’Europe catholique, réédité plusieurs dizaines de fois rien qu’au XVIIe siècle, en faisant un des livres de piété les plus répandus à l’époque moderne après l’Imitation de Thomas a Kamis.
Cette mitre se présente comme un objet assez simple. Sa forme courbe et sa taille étaient communes au XVIIe siècle, en particulier en France, qui ne semble pas avoir adopté les formes les plus fuselées observées aux XVIIIe et XIXe siècle en Italie et dans le monde germanique. À l’intérieur, un bonnet de cuir blanchi, aujourd’hui assez usé, permettait de protéger le textile du contact de la peau. Le fanon dextre fut assez longtemps replié pour que le galon qu’il couvrait ne se soit pas trop oxydé, permettant d’imaginer l’aspect délicatement brillant de ce fin travail de fils et de lames d’argent (fig. 2). Un fin galon couvre la tranche de la corne avant ainsi que les fanons, dont on peut penser qu’ils étaient originellement ornés de franges de même métal (fig. 3). Ces derniers ne sont pas cousus mais articulés par de petites charnières, plus solides, résultant peut-être d’une restauration.
Sa simplicité même pourrait suggérer qu’il ne s’agissait pas de sa mitre principale, néanmoins l’usage français de mitres brodées et orfévrées était passé de mode à la fin du XVIe siècle (fig. 4-5), au profit de pièces couvertes de soie blanche ou de drap d’or éventuellement ornées de fils d’or ou d’argent.
Figure 4, exemple de mitre de soie et galon sur le portrait de Charles de Gramont, évêque de 1514 à 1544, sur un portrait postérieur datant vraisemblablement du milieu du XVIIe siècle, cl. collectiongramont.fr (si problème de droit, mettre le lien https://collectiongramont.fr/la-maison-gramont/l-apogee-de-la-maison-gramont.html
Comment cet objet s’est-il retrouvé entre les mains de la Compagnie, qui ne conserve aucune archive à son sujet ? Celles du diocèse savoyard permettent de palier ce manque. Charles-Marie Rebord a en effet édité la documentation lié à l’épiscopat salésien, qui mentionne en 1733 qu’« une mitre blanche toute simple » fut offerte par le chapitre d’Annecy à M. Languet de Gergy en remerciement de son soutient dans une affaire juridique (Rebord, Administration diocésaine – Visites pastorales du diocèse de Genève-Annecy, 1921, sans pagination). Des détails de rituels indiquaient que cette mitre était utilisée afin de solennisée certaines fêtes par le chapitre.
Jean-Baptiste Languet de Gergy (1675-1750) intégra la Compagnie au moment de sa nomination à la cure parisienne de Saint-Sulpice en 1714. Frère de l’archevêque de Sens, de l’ambassadeur de France à Venise et de l’abbé régulier de Morimond, il fut un homme très influent au sein de l’Église de France et dans les cercles parisiens. Cette position lui permit de s’entremettre au profit du petit chapitre d’Annecy dans un litige d’avantages fiscaux traité à Paris. L’histoire de la relique est ensuite assez obscure. Tout au plus peut on supposer qu’elle revint à la Compagnie du vivant ou à la mort de Languet, et fit peut-être parti des souvenirs historiques précieux que M. Emery sauva de la Révolution en les abritant un temps chez la marquise de Villette, nièce de Voltaire.
Cette mitre est à la fois une touchante relique d’un des plus remarquables saints français du XVIIe siècle, mais aussi un intéressant souvenir historique de l’influence de du « docteur de l’Amour » dans l’histoire sulpicienne, tant au travers du fondateur, M. Olier, que de l’héritage spirituel transmis par ses successeurs.
Collection de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice
Clément SAVARY, consultant auprès du Comité du Patrimoine
Province de France de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice