Deux tasses et soucoupes du service à thé du pape Benoît XIV, Manufacture de Meissen (Saxe), vers 1740,
Tasses diamètre 8cm, hauteur 4,5cm, Soucoupes diamètre 13cm.

Figure 1. (c) C.Savary


 

Janvier 2023

 

C'est près de Dresde, à Meissen, que le secret de la porcelaine tendre fut découvert au début du XVIIIe siècle, par un alchimiste qui cherchait à transmuter du plomb en or. La Saxe fut donc le premier État européen à pouvoir produire cette matière si prisée, dont le secret n'était jamais sorti de Chine. La France ne tentera d'émuler Meissen que dans les années 1740, aboutissant quelques années plus tard à la fondation de la manufacture de Sèvre.

C'est donc l'or blanc de Saxe qui est offert au pape Benoît XIV. Cette blancheur si recherchée est le support d'un élégant décor peint par les meilleures mains d'Allemagne, ici Johan Christian Dietrich, futur directeur de la Manufacture. Au cœur de délicats entrelacs d'or et de pourpre sont représentés des paysages tirés des vues d'Italie gravées au XVIIe siècle par Melchior Küsel. Ces deux tasses sont ornées de paysages portuaires inspirés de l'une de ces gravures, Palatia auf dem Neuen Grund zu Venedig, représentant deux pavillons paladiens ouvrant sur un quai.

 

2023 01 Papstservice 2 1Figure 2-1. (c) C.Savary

 

Figure 2-2 : https://www.alamyimages.fr/melchior-kusel-artiste-allemand-1626-1683-johann-wilhelm-baur-artiste-d-apres-allemand-1607-1641-palais-venise-underschildliche-prospecten-serie-1681-gravure-image386364223.html

Les mêmes bâtiments se retrouvent sur le sucrier conservé dans la Collection Ludwig à Bamberg. Figure 2-3 : https://www.stadtfuehrung-bamberg.de/wp-content/uploads/2016/03/Sammlung-Ludwig-Bamberg-Papstservice-Meissen.jpg

Cette collection conserve aussi une des principales pièces de formes du service, la théière. Celle-ci, contrairement aux autres, n'a pas été peinte d'une vue italienne, mais de l'imposante tour-façade de la cathédrale dont la construction est l'objet de cet échange diplomatique.

Au centre de chaque soucoupe et sur la panse de chaque goblet sont reproduites les armoiries du souverain pontife. Au-dessus de l'écu sont placés les emblématiques clefs d'or et d'argent posées en sautoir, signes de son autorité spirituelle terrestre et céleste, derrière la tiare, signe de sa souveraineté temporelle. L'écu lui-même reprend les armes familiales Benoît XIV, issu de la petite noblesse bolognaise : d'or à quatre pals de gueule.

 

2023 01 Papstservice 3 1Figure 3. (c) C.Savary

 

Les pièces de ce service sont aujourd'hui dispersées entre diverses collections particulières. Le parcours de ces deux tasses reste obscur. Elles réapparaissent toute fois aux mains d'un membre de la Curie, Pierre-Paul Lacroix, camérier du pape Pie IX, qui en fit don en 1860 à Monsieur Carrière.

Joseph Carrière fut le supérieur général de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice de 1850 à sa mort en 1864. Ses relations romaines étaient nombreuses, puisque le projet de confier le séminaire de Saint Louis des Français à la compagnie fut un temps envisagé durant son supériorat. Il avait œuvré pour l'établissement d'une représentation permanente de la Compagnie auprès du Saint-Siège, qui ne pourra être mise en place que par son successeur, avec la fondation de la Procure de la Compagnie à Rome, rue des Quatre-Fontaines.

L'histoire de ces deux tasses ne s'arrêtent pas là. Lorsqu'en 1871 éclata la Commune, Issy devint un avant poste de la défense de Paris contre les prussiens. Le Séminaire où seuls restèrent les directeurs fut alors envahis par les troupes du général Eudes, dont l'épouse saisit rapidement une partie du mobilier et du linge. Les deux tasses de Benoît XIV furent retrouvées à la fin du conflit dans son appartement de la rue Saint-Ambroise.

Ces deux petits objets, anodins au premier abord, non seulement gardet le souvenir d'aventures artistiques et politiques, mais plus encore témoignent d'un moment, parmi tant d'autres, des relations entre la Compagnie et le souverain pontife, que le fondateur, Monsieur Olier, avait placé dès l'origine sous le signe d'une fidélité filiale envers le magister romain.


 

Collection de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice

Clément SAVARY, consultant auprès du Comité du Patrimoine