Jeanne d'Arc & Saint-Sulpice
Octobre 2022
Statue : 88/28/18, bronze patiné, R-283.
Chasuble : Satin, taffetas et fils de soie, fils d'argent et d'or, hauteur 111cm, largeur 70cm, R-167.
Buste : Marbres blancs et de couleur, albâtre, turquin, hauteur 23m, largeur 25cm, profondeur 10m, R-281.
Trois siècles séparent la bergère de Domrémy de la fondation de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice, pourtant, leurs histoires se rencontrent à la fin du XIXe siècle. Plusieurs sulpiciens jouèrent alors un rôle très actif dans la procédure de canonisation qui aboutit, après quarante-huit ans de travail, à l'élévation de Jeanne d'Arc sur les autels. Nommée patronne secondaire du pays, elle était devenue un symbole de réconciliation entre « les deux France », laïque et catholique, divisées depuis un siècle.
Hors d'Orléans, où s'était perpétuées des commémorations de la libération de la ville, la figure de Jeanne d'Arc n'était plus, au début du XIXe siècle, qu'un personnage historique parmi d'autres. Son souvenir survivait au travers de quelques biographies, dont la plus célèbre, due à Voltaire, avait rencontré une vive désapprobation dans les milieux catholiques par son parti pris burlesque et satyrique. La Restauration s'empara de cette figure, à l'instar d'Henri IV, relançant l'intérêt pour ce personnage d'un Moyen-Âge devenu à la mode.
En 1874, Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, ouvrit un procès local, première étape vers l'éventuelle reconnaissance de la sainteté de la libératrice de la ville, dont il confia la présidence à M. Branchereau, membre de la Compagnie de Saint-Sulpice et alors directeur du séminaire diocésain.
La cause fut portée à Rome en 1876, la fonction centrale de postulateur revenant à M. Captier, autre sulpicien, alors procureur - représentant officiel - de la Compagnie auprès des instances pontificales, chargé en parallèle de la défense de la cause de son fondateur, Monsieur Olier.
Devenu Supérieur général quelques années plus tard, M. Captier fut remplacé rue des Quatre-Fontaines par M. Hertzog, déjà très engagé dans la procédure, qui poursuivit l'affaire jusqu'à son achèvement. Il occupa aux côtés de l'évêque d'Orléans, Mgr Touchet, une place d'honneur lors de toutes les cérémonies vaticanes, depuis l'annonce de l'héroïcité des vertus (1904) à la canonisation (1920) en passant par la béatification (1909). Quelques fragments de correspondances témoignent de l'engagement personnel de M. Hertzog dans la défense de cette cause, et la grande joie que son aboutissement lui procura, moins comme un succès personnel que comme une grâce pour son pays et ses compatriotes. Qualifié d'« infatigable postulateur de la cause de Jeanne d'Arc » par le Saint Père , ces efforts lui valurent la distinction de protonotaire apostolique et le titre de Mgr, sur l'insistance de l'évêque d'Orléans. Il fut le premier sulpicien à accepter des honneurs romains, entorse à la tradition d'humilité de la Compagnie avalisée par ses supérieurs.
La Compagnie conserve aujourd'hui plusieurs souvenirs de cet épisode de son histoire. Ils sont plus directement liés à la béatification qu'à la canonisation, probablement parce que cette première étape autorisait déjà le culte public en France, ouvrant dès lors la possibilité de créer des images religieuses à son effigie, la canonisation l'étendant au monde entier.
La statuaire représentant Jeanne d'Arc commence à se développer sous le règne de Louis-Philippe, sa fille, la princesse Marie d'Orléans, étant elle-même l'auteur de deux représentations devenues célèbres, l'une à pied, l'autre à cheval. Devenue une figure historique majeure dans le contexte politique de la fin du XIXe siècle, entre le conflit franco-prussienne et la Première Guerre mondiale, les statues de celle qui « boutait les anglais hors de France » fleurirent sur la place publique. Le développement d'une dévotion autour de son souvenir entraîne l'apparition d'une imagerie cette fois religieuse, qui connaît son plein essor avec l'ouverture au culte public. Au moment de la béatification, Pie X choisit comme statue officielle de la cérémonie la Jeanne d'Arc au Sacre du sculpteur André Vermaere, alors au début d'une brillante carrière académique. Un exemplaire en bronze fut offert le 20 avril 1909 au Pape par Mgr Touchet, M. Hertzog et les curés d'Orléans, qui l'installa sur son bureau à côté de la statue du curé d'Ars . L'artiste lui-même rencontra le Saint Père, en compagnie du modèle de l’œuvre, devenue son épouse. Cette représentation de la bienheureuse fut particulièrement appréciée. Le marbre original fut déposé à l'église Saint-Louis des Français, et édité à de nombreux exemplaires en bronze ou fonte de fer, selon le format, réduit ou monumental. Publiée en première page du Pélerin de 1909, ses diverses reproductions furent très largement diffusées en France et en Amérique du Nord, en particulier au Canada, où la Compagnie est elle-même implantée depuis le XVIIe siècle. Elle porte en plus de l'armure une sorte de long surcot fleur-de-lisé, qui ajoute une touche féminine à la silhouette martiale et à la coupe de cheveux masculine. Le sculpteur lui confère une attitude de prière, le visage tourné vers le ciel évoquant autant la confiance que l'écoute, les mains serrées sur le cœur dans un geste d'émotion et d'invocation. Elles serrent sa bannière, assez bien connue par les descriptions contemporaines, que le sculpteur réduit ici à un seul de ses éléments, l'inscription Jesus Maria.
La béatification ouvrit la possibilité d'un culte public de Jeanne d'Arc pour les Français. En plus des marques de dévotion des fidèles, de la diffusion d'une imagerie religieuse, elle était désormais intégrée à la liturgie, avec une fête, celle de sa « naissance au ciel » le 30 mai. Une chasuble blanche, couleur de la catégorie des vierges à laquelle Jeanne est rattachée, fut produite par un fabricant parisien, la Maison Larive, 114 rue du Bac. Le détail de la commande n'est pas connu, mais sa structure italienne indique sa destination romaine, quoique confectionnée en France. Elle fut conservée à la Procure jusqu'au début du XXIe siècle.
Sur un fond de satin de soie crème semé de fleurs de lys brodée en fils d'argent, la croix frontale et le pilier dorsal sont formés d'un rinceau gothique scandé de cartouches quadrilobés encadrant des broderies de soie très fines, dites « peinture à l'aiguille », agrémentées de quelques fils d'or.
Au dos, du côté visible des fidèles, deux cartouches contiennent en haut une colombe, et un phylactère inscrit « De par le roy du ciel », emblème personnel de Jeanne d'Arc, qui sur une chasuble prend des airs d'Esprit Saint, en bas une épée ondulée et un phylactère portant « Va fille au grand coeur », interpellation de l'archange Saint Michel à Domrémy. Ils entourent un long cartouche brodé de la figure de la bienheureuse, reprise exacte de l'image de la béatification peinte par Bartoloni et placée dans Saint-Pierre au centre de la gloire du chevalier Bernin lors de la cérémonie de 1909.
Cette image fut largement diffusée dans la presse, par exemple à la une de la France Illustrée , et reproduite comme image de dévotion ou comme carte postale. Le choix iconographique est sensiblement le même que celui de Vermaere, la bienheureuse, sans auréole, est représentée debout, en armure, tenant sa bannière. Le peintre fit toutefois le choix d'une posture plus dynamique, jambe et bras droit en avant, et d'une bannière plus déployée et plus proche des descriptions anciennes, où sont présents non seulement les noms Jesus et Maria, mais aussi une représentation du Christ en gloire entre deux anges sur semé de fleurs de lys.
Les décors de la face de la chasuble présentent un décor plus emblématique, beaucoup moins figuratif. Formant la traverse de la croix, les monogrammes SM et SC accompagnés des palmes des martyrs évoquent les Saintes Marguerite et Catherine, dont Jeanne d'Arc entendit les voix. Ils entourent les armoiries attribuées à la sainte. Au centre de l'orfroi se trouve le monogramme de la Compagnie, dont la devise Auspice Marie est représentée par ses initiales surmontées de deux points au droit des jambes du M. Elle est augmentée d'une couronne d'étoiles et de deux rameaux de lys, qui en accentuent encore le caractère marial, à moins qu'il ne s'agisse d'un Ave Maria augmenté des deux points sulpiciens... Le pied est marqué des armoiries épiscopales de Stanislas Touchet, évêque d'Orléans président du procès de béatification, puis de canonisation. Ces armes sont elles-mêmes profondément johanniques, puisqu'en dessous d'un chef chargé de trois croix recroisettées, se trouve une synthèse de la bannière (IHS et MA) et de l'écu associé à Jeanne d'Arc (l'épée surmontée d'une couronnée, signe de l'importance de cette cause dans l'esprit de l'évêque dès sa nomination.
Les armoiries de Mgr Touchet furent employées pour orner les étendards de la canonisation, à côté de celles attribuées à la sainte et de celles du pape. Leur présence sur cette chasuble n'est-elle qu'une reprise de l'emblématique officielle, ou bien le signe d'une participation du prélat dans sa commande ? Sa sollicitude envers Mgr Hertzog, pour qui il avait activement demandé les honneurs de protonotaire, s'est-elle étendue à lui offrir cette chasuble ? En l'absence de document, cela ne peut rester qu'une hypothèse.
De nombreux autres objets décoraient les maisons sulpiciennes de Rome et de Paris, créations le plus souvent françaises, mais aussi italiennes, comme un petit buste marmoréen provenant de la Procure.
Les traces de cette implication dans les collections patrimoniales de la compagnie ne se restreignent pas aux objets d'art. Sa bibliothèque et ses archives conservent une importante documentation, probablement liée au travail des postulateurs autant qu'à la dévotion des confrères, dont des copies manuscrites des procédures et des pièces de la cause.
Collection de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice
Clément SAVARY, consultant auprès du Comité du Patrimoine
Province de France de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice