JUILLET 2022

Saint Vincent de Paul fondant les conférences des Mardis, Jean-François De Troy (1679-1752), huile sur toile, 2,1/1,7m, 1730-31.

M 2022

 

troy conferences du mardi detail 2 2Figure 1

Le 27 septembre 1729 est un jour de grande réjouissance au faubourg Saint-Denis (non loin de l'actuelle gare de l'est). Tout Paris se presse dans le vieux prieuré Saint-Lazare, confié depuis 1632 à la Congrégation de la Mission fondée par Vincent de Paul, dans le but d'évangéliser les campagnes françaises et de secourir les plus pauvres.

Presque un siècle après cette fondation, celui qu'on appelait jusqu'alors « Monsieur Vincent » est béatifié par le pape Benoît XIII. À Paris, son corps est alors exhumé en présence de l'archevêque de Paris et élevé sur l'autel lors d'une grande cérémonie. Cette première étape vers la canonisation autorisait la vénération publique du bienheureux. Non seulement son corps était maintenant une relique, exposée au maître-autel, mais il était dès lors loisible de diffuser des images de piété à son sujet. Pour cette célébration, de petits tableaux en camayeux sont réalisés pour représenter la vie du nouveau bienheureux. Les lazaristes décident ensuite de pérenniser ce décor éphémère en commandant une série de tableaux exposant les épisodes les plus édifiants de la vie de leur fondateur. Ce cycle composé de onze toiles de grandes dimensions est distribué entre plusieurs peintres, sous la direction du supérieur de la Congrégation, M. Jean Bonnet (1664-1735) et du biographe de Vincent de Paul, M. Noiret.


La plus imposante toile peinte (4,5m de haut 3,2m de large), œuvre du frère André, peintre dominicain, représentait l'apothéose de Vincent de Paul, porté au Ciel et bénissant ses successeurs. Il était destiné à orner la nef. Les autres toiles - ne mesurant que 3,3m de haut et 2,8m de large – représentaient Vincent de Paul prêchant aux pauvres de l'hopital (frère André), menant une mission comme curé (J-F De Troy), Louis XIII mourant dans ses bras (J-F De Troy), sa création d'une conférence pour les ecclésiastiques parisiens (J-F De Troy), sa participation au Conseil de Régence (J-F De Troy), sa prédication aux galériens (J. Restout), sa direction des Filles de la Charité (J. Restout) son intercession pour les lazaristes (J.B. Féret), sa visite aux Enfants Trouvés (L. Galloche) et sa mort (J-F De Troy). Elles ornaient les arcades du choeur et entouraient l'image du Christ placé au-dessus de l'autel. Leur réalisation s'échelonne entre 1730 et 1736.

Tout est donc prêt pour célébrer avec magnificence la canonisation proclamée en 1737, lors d'une semaine de célébrations ininterrompues auxquelles participèrent tous les corps ecclésiastiques et civiles de la capitale, au milieu d'un grand concours de fidèles.


À cette occasion, l'ensemble des tableaux furent gravés par Antoine Hérisset d'après les dessins de Nicolas Bonnart, assurant ainsi leur diffusion tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, servant de support à de nombreuses copies dans les autres maisons lazaristes ainsi que chez les Filles de la Charité, dont Monsieur Vincent était aussi le fondateur avec Louise de Marillac. Cette traduction des toiles peintes en eau-forte est précieuse puisqu'une partie de ces toiles furent perdues après leur saisie en 1792.

troy conferences du mardi 1 1Figure 2

Il ne reste rien aujourd'hui des bâtiments que connurent les lazaristes de l'ancien-régime. Seules quelques toiles du chœur ont survécu, tant bien que mal, dispersées dans différents musées et collections privées, dont celle du cardinal Fesch.


En 1988, la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice saisie l'occasion d'acquérir l'une de ces toiles auprès d'une galerie parisienne. Ne mesurant plus que 2,1m par 1,7m elle a été amputée de sa partie supérieure et de sa moitié gauche. Cela n'empêche pas d'identifier sans mal le sujet : les conférences des Mardis, l'une des cinq toiles réalisées par Jean-François De Troy.


Vincent de Paul les institua en 1633, réunissant au prieuré Saint-Lazare les principaux prélats, curés et ecclésiastiques parisiens, comme lui membres actifs de la réforme catholique insufflée par le Concile de Trente, formant une sorte de confrérie ecclésiastique.


Ces rencontres avaient pour but non seulement de soutenir les efforts concrets des réformateurs, de les fortifier dans la vertu et la piété, mais plus encore d'échauffer leur ardeur à la mission, aux tâches pastorales et aux œuvres charitables. Chaque mardi l'un d'entre eux entretenait l'assemblée d'une conférence spirituelle sur un sujet donné, avec la simplicité d'un discours « préparé dans le silence et l'ardeur de la méditation, au pied de la Croix ».

Les conférences eurent un grand retentissement, leur formule étant reproduite dans de nombreuses villes du royaume. La forte personnalité de « Monsieur Vincent » fit beaucoup pour leur succès, ainsi que les édifiantes figures qui s'y joignirent. Parmi celles-ci se trouvait Jean-Jacques Olier, fondateur du Séminaire et curé de Saint-Sulpice, qui jouissait alors d'une grande considération au sein du clergé séculier parisien. Il anima lui-même certaines réunions des curés des paroisses intra-muros et encouragea les missions paroissiales. C'est sa présence qui motiva l’acquisition de l’œuvre par ses successeurs du XXe siècle.

Ces cinq toiles attirèrent de nombreux éloges à leur auteur. Jean-François De Troy y montrait sa maîtrise d'un sous-genre dont il fut l'un des pionniers, celui de la peinture d'histoire moderne. Il l'avait déjà pratiqué pour un ex-voto de la peste de Marseille et l'illustration de la Henriade. La narration efficace, la composition simple et clair, le pittoresque des costumes et des lieux, l'exactitude des visages assurèrent leur succès, modelant l'iconographie du saint jusqu'au XXe siècle.

Encore aujourd'hui, malgré l'état matériel de l’œuvre, ce portrait de groupe rétrospectif nous remémore des figures qui marquèrent une période de grande efflorescence dans l’Église de France.
À la droite de Monsieur Vincent, occupant la partie aujourd'hui perdue, se trouvaient six évêques : Louis Abelly, évêque de Rodez, Alain de Solminihac, évêque de Cahors, Henri de Maupas, évêque du Puy, tous très actifs dans la diffusion du Concile de Trente, et particulièrement favorables à l’œuvre des missions. Un jeune évêque se distingue parmi eux, Bossuet, qui signale l'influence de l'oeuvre de Vincent de Paul dans la suite du siècle.


Dans la partie conservée se trouvent quatre ecclésiastiques, eux-aussi bien reconnaissables. Jean-Jacques Olier, dont Monsieur Vincent fut le directeur spirituel et un soutien indéfectible lors de son installation houleuse dans la paroisse Saint-Sulpice.


Noël Brulart de Sillery, commandeur de l'ordre de Malte, qui soutint le développement des Lazaristes dans le diocèse de Troyes. Cette figure fut aussi identifiée comme l'abbé de Tournus, qui vécut un temps à Saint-Lazare.


Adrien Bourdoise, fondateur du Séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, qui rencontra Vincent chez le cardinal de Bérulle.


Saint Jean Eudes, fondateur de la Congrégation de Jésus et de Marie, missionnaire en Normandie et figure de la spiritualité sacerdotale propre à l'école française de spiritualité, à la suite de Bérulle et Olier.

Cette œuvre est un témoignage historique doublement précieux, d'abord par le peu de vestiges du prieuré Saint-Lazare et de ses décors qui puissent rappeler le souvenir de Saint Vincent et de sa première fondation, ensuite comme trace des liens qui unissent deux communautés, les lazaristes et les sulpiciens, dont l'action s'appliquent dans des champs différents, mais qui sont issus d'un même souffle spirituel et réformateur.

 

Collection de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice

Clément SAVARY, consultant auprès du Comité du Patrimoine
Province de France de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice