Décembre 2021
Anonyme, Bible Foa, ca 1360-1380, Catalogne, parchemin en vélin, manuscrit enluminé, 36,2 x 27,6 x 10 cm, Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice, Paris.
Le manuscrit 1933 conservé aux Archives de Saint-Sulpice à Paris est une Bible hébraïque dite Bible Foa d’après le nom de la famille qui posséda ledit manuscrit du XVIème au XVIIIème siècle. En l’absence de colophon qui nous aurait renseigné sur son lieu de production – scriptorium – ou un éventuel commanditaire, il nous faut plonger dans l’analyse du document afin de pouvoir le resituer dans son contexte.
Un manuscrit enluminé issu de l'école catalane
Lettrines caractéristiques de l’école catalane latine de l’enluminure
Le feuillet 9 s’ouvre sur l’incipit du Livre de la Genèse dont la première lettre forme une lettrine peinte, caractéristique plutôt rare dans les codices hébraïques. La composition qui l'entoure représente un feuillage en volutes qui s’étend, typique de l’enluminure des manuscrits latins de l’école catalane au XIVème siècle.
Les feuillets 6vo et 7 ro représentent deux magnifiques tapisseries décorées d’une rosace centrale faite d’entrelacs et de végétaux stylisés (voir plus bas). Aux 4 coins de ces feuillets, tout comme aux 4 coins des illustrations figurant les ustensiles sacrés du Sanctuaire (5vo - 6ro), sont disposés des armoiries figurant une aile stylisée. Ce motif ailé se retrouve dans d’autres manuscrits hébraïques catalans comme dans le Sarajevo Haggadah. Cecil Roth a identifié ce dispositif accompagné des armes de la famille Sanz, une des principales familles nobles de Catalogne. Cette pratique consistant à faire figurer les armoiries des familles sur les manuscrits était assez courante chez les Juifs d’Espagne. On retrouve cela dans d’autres bibles ou Haggadot . Les armes de la famille Sanz contribuent ainsi à situer notre Bible Foa en Catalogne.
Les premiers feuillets du manuscrit s’ouvrent sur des motifs d’arcades enluminées coiffées d‘arcs trilobés reposant sur des chapiteaux puis sur des colonnettes. Le tout encadrant et contenant les colonnes de texte où sont inscrites les listes massorétiques de Ben Asher et Ben Naphtali, à la manière des canons utilisés dans les évangéliaires. Il s’agit là d’une caractéristique commune des bibles hébraïques médiévales. Par exemple, la Bible de Perpignan datant de 1299, ou la Bible Rashba de 1383 possèdent des arcatures similaires. Celles de la Bible Foa se rapprochent davantage de la Bible catalane du Duc de Sussex. Peintes dans un bleu vif, un orange brillant, un mauve et un jaune clairs, les colonnes des arcades de la Bible Foa alternent 2 types de décorations d’un feuillet à l’autre. Au recto du feuillet 4, on trouve des motifs de palmettes encadrées, tandis qu’au verso du même feuillet 4, nous pouvons admirer des volutes de feuillage entrelacées.
Une Bible hébraïque
Découpage du texte selon la Parashah
Les décorations des unités divisionnelles de la Bible hébraïque en chapitres et en versets ou Parashah sont délicatement rendus en bleu, rouge-orangé, doré et mauve pâle tout au long du Pentateuque. La même colorimétrie est employée à la fin des livres numérotés à l’intérieur d’un cadre doré entouré de feuillages stylisés qui se déploient, prouvant une puissante influence italienne. Des motifs décoratifs plus élaborés encore apparaissent au début de Josué au feuillet 95 v°, à la fin des Rois, d’Isaïe, de Jérémie et d’Ézéchiel, ainsi qu’à la fin de chaque Petit Prophète (exemple au feuillet 235 : fin de Joël et début d’Amos) et de tous les autres livres jusqu’à la fin du manuscrit. Le numéro de chaque psaume est aussi placé à l’intérieur d’un motif décoratif, parfois accompagné d’oiseaux tels qu’un paon.
Les notes massorétiques
La Massorah Magna, écrite en miniature le long des marges figurant au somment ou à la base de la page est parfois exécutée avec des dessins élaborés tels qu’entrelacs de feuillages stylisés ou des motifs d’oiseaux, d’entrelacs géométriques ou de grotesques dragons.
Les vases du Sanctuaire sont représentés sur les premiers feuillets du manuscrit. Sur 3 pages, les ustensiles sacrés sont disposés sur un fond rouge et bleu, compartimenté et diapré, dans la plus pure tradition du Gothique français.
Sur le feuillet 5vo, les 7 branches du Chandelier en or ou Menorah occupent toute la page avec ses pinces et ses pelles suspendues sur ses branches. De part et d’autre du Chandelier, on peut voir les deux marchepieds sur lesquels montait le prêtre pour éteindre les lumières. Sur chacun de ces marchepieds se trouvent un mortier et son pilon. Sur la droite, on aperçoit la verge bourgeonnante d’Aaron qui avait fleuri sous la Tente du Témoignage, au désert (Nombres 17:8). Sur la gauche, se trouve un vase en forme d’aiguière qui contient la manne. Parcourant le cadre on peut lire les versets bibliques relatifs à la fabrication de la menorah (Nombres 8:4) en caractères d’or.
Sur le feuillet 6 sont représentés les ustensiles sacrés du Sanctuaire, arrangés également de manière symétrique, entourant l’autel à cornes pour les holocaustes avec sa rampe sur la droite. Ils sont représentés avec les trompettes d’argent, le chofar et d’autres ustensiles sacrés prévus dans l'Exode 27:3 tels que fourchettes, pelles, brûle-parfums, vases, bassins et les 4 bols d'aspersion. Entre les 2 vases, au bas de la page, se trouve un arbre représentant de manière stylisée le Mont des Oliviers au sommet duquel le Messie est censé apparaître. Sur le bandeau du cadre, on peut lire la fin du verset 4 dans le 8ème chapitre du Livre des Nombres , ainsi que le début de Exode 39:35 .
Au verso du feuillet n°7 se trouve la suite du même verset 35, suivi du verset 36 puis du début du verset 38 (Exode chapitre 39) . On voit également apparaître d’autres objets du culte qui ont accompagné les Hébreux durant leur Exode et que l’on retrouvera tout naturellement dans le Sanctuaire après l’édification du premier Temple. Sur la partie haute de l’illustration, on peut voir l’Arche d’alliance avec ses barres de transport, son propitiatoire et ses deux chérubins.
L'Arche d'alliance surmontée des deux chérubins
Sur la droite, se dresse la cuve de lavement sur son pied tandis qu’on peut apercevoir sur la gauche, la jarre contenant l’huile d’onction sur laquelle on peut lire shemen signifiant huile en hébreu. Cette inscription s’explique probablement par le souci d’éviter toute confusion avec la jarre de manne, qui, très souvent possède la même forme, de même que la cuve de lavement figurant sur la page. Au-dessous, se trouve la table pour les pains d’oblation ainsi que les encensoirs.
Le Pectoral d'Aaron, frère de Moïse et premier Grand Prêtre d'Israël
Une 4ème page dépeint les ustensiles sacrés du Sanctuaire au feuillet 8. On y voit le pectoral d’Aaron (Exode 39:8-21 ), dit aussi plastron, un artéfact rarement représenté dans les manuscrits hébraïques espagnols et encore plus rarement accompagné des ustensiles sacrés. On peut y lire le nom des 12 tribus d’Israël quand le véritable pectoral était, lui, constitué de 12 pierres précieuses gravées censées les représenter. Dans la Bible Foa, les lettres hébraïques enluminées à la peinture d’or sont enchassées à l’intérieur de cartouches alternant le rouge et le bleu. Le nom des fils de Jacob y est inscrit selon l’ordre du Targum Jonathan faisant autorité (Exode 39:10-14). Le pectoral contient aussi le nom des Patriarches associés aux 12 Tribus d’Israël. L’enlumineur suit en cela la tradition talmudique qui affirme que le nom des Patriarches et les « Tribus de Yeshurun » étaient inscrits tous deux sur le Pectoral d’Aaron (Hoshen Mishpat). Le bord externe du cadre est décoré d’entrelacs tandis que l’intérieur d’un cadre contient les passages de Exode 28:30 .
Tapisseries ornées des armoiries de la famille Sanz
Entre ces feuillets qui représentent les ustensiles sacrés du Sanctuaire, s’insèrent deux pages représentants des tapis décorés de formes géométriques et d’un entrelac de feuillages stylisé en volutes. La décoration des deux tapis est quasiment identique.
La Bible Foa est l’un des exemples les plus fins de l’art de l’enluminure d’Espagne du Nord. Très proche des Bibles Rashba et Farhi, de la Bible de Parme MS 2810 ou encore de la Bible de Londres MSS 15250, du manuscrit Harley 1528, la Bible Foa contient des caractéristiques et des éléments typiques de l’école catalane agrémentés d’influences artistiques issues des styles arabo-andalou, gothique français et italien. Cette ouverture à ces influences européennes multiples nous situent bien après la reconquista de la Catalogne. En outre, ses caractéristiques communes avec lesdits manuscrits nous permettent de la dater des années 1360-1380 d’après ce que pouvaient produire les ateliers d’enluminures de la région de Barcelone à cette époque.
M. Zakaria Hilal, archiviste de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice