Août 2023


Translatio miraculosa 1
[Pietro Giorgio Tolomei], Translatio miraculosa ecclesie beate Marie virginis de Loreto, [s. l.], [s. n.], [circa 1480].

La Bibliothèque Jean-Jacques Olier a en sa possession une trentaine d’incunables dont celui intitulé Translatio miraculosa ecclesie beate Marie virginis de Loreto. Écrit par Pietro Giorgio Tolomei, recteur du sanctuaire de Lorette de 1450 à 1473, et paru vers 1475, ce court récit relatant la translation par des anges de la maison de Marie, de Nazareth jusqu’à Lorette, fut un vrai « best-seller » du XVe siècle.

Notre exemplaire, de format in-8° (13, 3 cm), daterait autour de 1480 et se compose de deux feuillets (quatre pages) non chiffrés. Le texte latin, imprimé en caractères gothiques, est réparti comme suit. Le recto du premier feuillet se compose du titre, d’une gravure sur bois, et de vingt-sept lignes de textes (voir image ci-dessus). Sur le verso du premier feuillet et sur le recto du deuxième, le texte se poursuit sur trente-deux lignes sur chaque page (Fig. 1). Enfin, la dernière page compte vingt-deux lignes qui se termine par le mot « Finis » (Fig. 2).

Translatio miraculosa 2Fig. 1 : Premier feuillet – verso (p. 2). Deuxième feuillet – recto (p. 3)

Translatio miraculosa 3Fig. 2 : Deuxième feuillet – verso (p. 4)
Le catalogue l’ISTC (Incunabula Short Title Catalogue) nous donne de précieux renseignements sur ce texte. Ainsi, notre incunable existe également en d’autres format (in-4° et in-16°) et est aussi rédigé en italien et en allemand. L’ISTC a dénombré 64 exemplaires, tout format, langue et pays détenteur confondu.
En France, trois établissements sont répertoriés comme détenteur de cet incunable : la Bibliothèque des Beaux-Arts de Paris (Masson 2250), la Bibliothèque nationale de France (D-907 (7) ; RES-K-1267 (4) ; RES-H-1687), et Saint-Sulpice (Rés. P. 1). Le site du CCFR (Catalogue Collectif de France) complète cette liste avec les bibliothèques Méjanes d’Aix-en-Provence (Inc. D. 59), la BNU de Strasbourg (K.3.604), les bibliothèques Sainte Geneviève (8 E 3199 INV 1828 RES (P.5)), et Mazarine à Paris (8° 31762-1), les bibliothèques municipales d’Amiens (LESC 3716 ; RES 377 A) et de Bordeaux (H 17275).
Dans le monde, seuls quatre établissements possèdent au moins un exemplaire identique en tous points à celui conservé à Saint-Sulpice1. Il s’agit de l’Université de Gand (Belgique), de la Universitätsbibliothek de Fribourg, de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, et de la Bibliothèque Universitaire de Bâle (Suisse) (https://data.cerl.org/istc/it00426900). On retrouve l’exemplaire de Munich entièrement numérisé via le lien suivant : https://www.digitale-sammlungen.de/en/view/bsb00079270?page=.

Qu’ils soient conservés en France ou ailleurs, ces différents incunables ne sont pas tous identiques. Le format, le nombre feuillets, la langue et la gravure peuvent différer (Fig. 3 à 5).

Translatio miraculosa 4Fig. 3 : Gravure de l’exemplaire de Franckfort, Universitätsbibliothek - v. 1490

Translatio miraculosa 5

Translatio miraculosa 6

Translatio miraculosa 7

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Translatio miraculosa 8

Translatio miraculosa 9

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 4 : Gravures de cinq exemplaires conservés à Munich à la Bayerische Staatsbibliothek-(datés entre 1480 et 1500)

 

 

Translatio miraculosa 10Fig. 5 : Gravure commune à plusieurs exemplaires conservés à Munich à la Bayerische Staatsbibliothek (1521) ; en République Tchèque à la Bibliothèque nationale (1500) et à Rome à la Bibliothèque Centrale (1521)

 

Le récit de la légende2

Après la conquête par les mamelouks de Saint-Jean-d’Acre, dernier bastion de la chrétienté en Terre Sainte, la sainte Maison de Marie fut transportée par des anges de Nazareth en Dalmatie/Esclavonie, à Trsat près de Fiume. Arrachée de ses fondations, seuls vestiges laissés sur place, la maison était constituée de trois pans de murs adossés à une grotte creusée dans la roche. C’est dans cette modeste demeure que la sainte Vierge naquît, reçu la visite de l’ange Gabriel, et vécut avec son divin fils jusqu’à ses douze ans. Plus tard les apôtres en firent une église dédiée à la Vierge.
Arrivée sur place le 10 mai 1291 à minuit, la sainte demeure resta à Trsat trois ans et sept mois, avant d’effectuer une deuxième translation miraculeuse.
Pour son deuxième voyage la Maison traversa l’Adriatique et se posa à Recanati, au milieu d’une forêt le 10 décembre 1294, forêt appartenant à une pieuse femme nommée Loreta. L’affluence sur l’emplacement du miracle était grande mais les pèlerins ne furent pas les seuls à venir sur les lieux. La venue de brigands et d’autres désordres causa tant de mal qu’au bout de huit mois, la sainte Maison fit une nouvelle translation.
Du bois de Loreta, la Santa Casa fut transportée sur une colline appartenant aux deux frères Antici, mais n’y resta que quatre mois. En effet, ces derniers se disputant les profits résultant du concours des pèlerins, les anges transportèrent à nouveau la Maison, non loin de là.
Pour son quatrième et ultime voyage la Santa Casa fut déposée, le 25 décembre 1295, au milieu d’un grand chemin où elle demeure encore aujourd’hui.
L’auteur précise qu’il tient ce récit de deux de ses vieux paroissiens qui le tenaient eux-mêmes de leurs aïeuls, témoins du miracle. Pour le premier, il s’agit d’une transmission de génération en génération : son trisaïeul aurait raconté ce qu’il a vu son grand-père qui, à son tour, lui aurait transmis l’incroyable histoire. Le deuxième tient son récit de son grand père, mort au bel âge de 120 ans !

Mythe ou réalité ?

Légendaire ou véridique, à Lorette ou restée à Nazareth, il n’est pas lieu ici de trancher la question. Les détracteurs3 comme les partisans4 du miracle ont déjà exposé leurs arguments. Je laisse donc le soin au lecteur de se faire sa propre opinion sur le sujet.
Dans tous les cas, comme l’écrivait le R. P. Lepidi à propos de la thèse d’Ulysse Chevalier5 : « la religion et la piété envers la Vierge n’ont rien à y perdre »6, et c’est bien là l’important.

1L’ISTC donne également une bibliographie de référence mentionnant ce document : https://data.cerl.org/istc/it00426900?style=expandedPour Hain, Ludwig, voir https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48578/f430.item ; pour Sack, Vera, voir  http://bilder.manuscripta-mediaevalia.de/hs//katalogseiten/HSK0024b_b1210_jpg.ht ; pour Bayerische Staatsbibliothek Inkunabelkatalog voir https://inkunabeln.digitale-sammlungen.de/Ausgabe_T-373.html ; pour Gesamtkatalog der Wiegendrucke, voir https://gesamtkatalogderwiegendrucke.de/docs/M17558.htm

2Pour conter ce récit nous nous appuieront principalement sur trois textes : H. Leclercq, « Lorette », in Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. 9, 2e partie, Librairie Letouzey et Ané, Paris, 1930, col. 2473-2511 ; Abrégé historique qui contient la description de la Sainte Maison de Nazareth ou de la gloire et de la majesté du sanctuaire de Nostre-Dame de Laurette, Nicolas Bellelli, Lyon 1731, Ancone 1742 et A. Grillot, La Sainte Maison de Lorette, Alfred Mame et Fils, Tours, 1873 (4e éd.), p. 17-26.

3Voir H. Leclercq, op. cit. ; ou encore la thèse du Chanoine Ulysse Chevalier, Notre-Dame-de-Lorette, Étude critique sur l'authenticité de la Santa Casa, Alphonse Picard & Fils, Paris, 1906.

4Voir Abrégé historique […] op. cit. ; ou encore A. Grillot, op. cit.

5Voir note 3.

6H. Leclercq, op. cit., col. 2474.

 

Conservé à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque de la Compagnie (Paris) sous la cote Rés. P. 1.

Dr. Émeline PULICANI, bibliothécaire-catalogueuse
Province de France de la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice