Lori 1

 

Éléments de l’École française

(1) Au fondement de la vision de l’École française se trouvent l’Écriture et les Pères de l’Église.

Bien que beaucoup d’auteurs appartenant à l’École préfèrent Jean et Paul aux autres auteurs du Nouveau Testament et favorisent saint Augustin par rapport à d’autres auteurs patristiques, je pense que l’on peut dire sans inconvénient que l’École française fut le mouvement de retour aux sources de son époque – ou mieux, le précurseur du mouvement de retour aux sources du XXe siècle, qui a exercé une telle influence sur les documents du concile Vatican II et sur le Catéchisme de l’Église catholique.


Au XVIIe siècle, une époque de fermentation intellectuelle et culturelle, l’École française offrit un voyage libérateur dans la Parole de Dieu ; elle constitua, entre autres, une nouvelle alternative au scolasticisme atrophié.


Ce retour aux sources de la part de Bérulle et ses disciples m’interpelle : je crois qu’à notre époque de fermentation intellectuelle et culturelle, pareillement, la voix de la Tradition doit résonner fortement tant dans la prédication que dans l’enseignement. Il ne s’agit pas de se réfugier dans le passé – ce n’est d’ailleurs pas ce que faisaient les auteurs de l’École française. Ils ne faisaient pas qu’étudier la Tradition. Ils la rencontraient dans l’oraison. À partir de cette expérience d’intériorité, ils ont élaboré une approche de la spiritualité qui convenait à l’époque de grands changements qui était la leur.


Dans nos efforts de retrouver les sources et la vision de l’École française, nous devons entendre l’appel de Paul Ricoeur d’aller « par-delà le désert de la critique » – ne pas retourner au stade précritique, mais faire une étude critique de nos sources afin d’en faire une nouvelle approche, avec une nouvelle appréciation de leur vérité, leur sagesse et leur capacité de nous relier aux mystères du salut, ces événements révélés à la fois enracinés dans l’histoire et participant de l’éternité de Dieu .


(2) La sainteté est acquise par un « anéantissement » continu. L’École française souligne fortement ce « vidage de soi », à tel point même qu’il a été suggéré qu’elle propose une vision pessimiste de la nature humaine. Il est important de comprendre comment cet aspect kénotique répond à la vision de la grandeur divine qu’a cette École : en comparaison avec la grandeur et la gloire de Dieu, nous sommes comme rien, et la création elle-même est comme rien.


Le New Dictionary of Catholic Spirituality affirme que « ce type particulier de via negativa (…) est l’une des raisons de sa perte d’influence dans la culture depuis le concile Vatican II . » Saint Augustin, que les maîtres de l’École française avaient bien étudié, a lui aussi été accusé d’une vision présumée pessimiste de la personne humaine. Certaines expressions de ces auteurs semblent en effet nier l’essentielle bonté de l’homme et de la création. Ceci pourrait justifier la critique dans une certaine mesure, surtout quand il s’agit de la première période de formation de la spiritualité de Bérulle.


Il a été dit que les premiers rêves de Bérulle de réformer de l’Église suite au concile de Trente (1545-1563) se concentraient surtout sur ses efforts personnels d’acquérir vertu et sainteté, et sur le programme vigoureux de renouveau qu’il avait en tête . Au fil du temps, Bérulle s’est toutefois aperçu que l’abandon de soi que le Christ réclame dans l’Évangile n’est pas simplement un appel à une discipline personnelle, mais plutôt une kénose radicale et graciée qui ouvre le chemin pour que le Christ vienne vivre en nous et restaure en nous la dignité humaine blessée.


Permettez-moi de partager pourquoi je pense que cet accent sur l’anéantissement, aussi désagréable qu’il puisse être à nos oreilles, a quelque chose à nous dire. Tout d’abord, l’École française corrige la fausse anthropologie de l’affirmation de soi, cette vision de l’homme qui engendre le narcissisme si répandu dans la culture occidentale d’aujourd’hui, pour ne pas mentionner sa tendance à la présomption quand il s’agit de s’approcher de Dieu. Je suis sûr que vous rencontrez cela dans votre travail de formateur de prêtres. Nous avons douloureusement appris, ces dernières années, que nous ne rendons aucun service, ni à nous-mêmes, ni à ceux qui viendront après nous, en appelant bon ce qui est en réalité destructeur de l’esprit humain . Aussi la grande majorité des plaintes que je reçois au sujet du clergé ne concernent ni la doctrine, ni la liturgie, mais plutôt la formation humaine. Alors que l’anéantissement semble aux antipodes de la formation humaine – avec ses insistances sur la santé émotionnelle et l’équilibre humain – de fait, selon la logique de l’Évangile, il est au cœur d’une formation humaine solide. Comme c’est rafraîchissant de trouver un leader, surtout dans l’Église, qui ne soit pas « plein de lui-même », au centre de son univers personnel, revêtu d’une dignité auto-fabriquée et protégée par des tas de prérogatives. Enfin, le manque d’anéantissement, de « vidage de soi », engendre ce cléricalisme virulent qui peut pousser des prêtres au péché, et parfois même dans les profondeurs de la corruption. À l’opposé, l’anéantissement est un ingrédient majeur pour faire de notre vie un don à Dieu et aux autres, par un service dans l’humilité et l’amour.